lundi 20 octobre 2025

Baisse de la fécondité en France, sabotage de la politique familiale universelle ?

Les Électrons libres ont publié un article qui dresse un constat alarmant : la France, autrefois modèle européen de natalité, voit s’effondrer son avantage démographique à cause du démantèlement progressif de sa politique familiale universelle. Ce « sabotage » met en péril non seulement les familles, mais aussi les fondements économiques et sociaux du pays.

1. Un hiver démographique mondial et français

Près des deux tiers de la population mondiale vivent désormais dans des pays où la fécondité est inférieure au seuil de renouvellement des générations.

  • En Chine, les naissances ont chuté de 40 % entre 2010 et 2024, et la population pourrait diminuer de 200 millions d’habitants d’ici 2054.

  • En Europe, la natalité s’effondre : en 2024, l’Union européenne a enregistré moins de naissances que les États-Unis, malgré 120 millions d’habitants supplémentaires.

  • En France, 663 000 bébés seulement sont nés en 2024, soit une baisse de 21,5 % depuis 2010, et un taux de fécondité de 1,62 enfant par femme, bien en dessous des 2,1 nécessaires au renouvellement.

Cette chute annonce un déséquilibre durable : moins d’actifs pour financer les retraites, une croissance ralentie par le manque de jeunes, et un affaiblissement du dynamisme innovant du pays.

2. Les nouvelles mesures de 2025 : le coup de grâce

Depuis le 1er septembre 2025, les familles françaises subissent deux réformes majeures qui aggravent leurs charges :

dimanche 19 octobre 2025

L’Union européenne veut étendre le programme Erasmus aux pays du sud de la Méditerranée

L’Union européenne envisage d’ouvrir son célèbre programme d’échanges universitaires Erasmus+ aux étudiants de ses voisins méridionaux, situés en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. C'est ce que rapporte Politico.

Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’un plan plus large, le « Pacte pour la Méditerranée », destiné à renforcer la présence et l’influence de l’Europe dans la région.

 

Un pacte global : jeunesse, économie et migration

Présenté jeudi à Bruxelles, ce pacte vise à favoriser la mobilité étudiante, stimuler les échanges économiques et mieux gérer les flux migratoires entre les deux rives de la Méditerranée.

La Commission européenne prévoit ainsi de doubler le budget consacré à la région, pour atteindre 42 milliards d’euros sur la prochaine période de programmation.

Les pays partenaires concernés sont : l’Algérie, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, la Libye, le Maroc, la Palestine, la Syrie et la Tunisie.

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, a détaillé les trois piliers du pacte — les peuples, l’économie et la sécurité/migration — en soulignant que la Méditerranée devait redevenir une « passerelle entre les continents, pour les personnes, les biens et les idées ».

Une « Université méditerranéenne »

Dubravka Šuica, commissaire européenne en charge du dossier, a annoncé que l’objectif était de « connecter les jeunes » en étendant Erasmus+ et Horizon Europe, tout en encourageant la création de diplômes conjoints entre universités européennes et méditerranéennes.
Elle a évoqué la mise en place d’une « Université méditerranéenne », censée favoriser l’intégration académique et scientifique entre les deux rives.
Parallèlement, l’UE compte faciliter la délivrance de visas, notamment pour les étudiants du Maroc, de la Tunisie et de l’Égypte, et renforcer les « partenariats de talents » avec ces pays.

Une approche migratoire à double tranchant

Šuica a présenté la migration comme « le plus grand défi commun » mais aussi comme une « chance partagée ». Le pacte prévoit un soutien aux efforts de lutte contre les départs illégaux et le trafic de migrants, tout en ouvrant des canaux légaux de migration de travail afin de répondre aux besoins de main-d’œuvre européens.


Analyse critique et enjeux

Cette extension du programme Erasmus+ à la rive sud de la Méditerranée présente des ambitions généreuses, mais soulève plusieurs questions stratégiques et socio-économiques :

  1. Risque de fuite des cerveaux
    L’ouverture du programme pourrait encourager les jeunes diplômés talentueux d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à s’installer durablement en Europe, aggravant la pénurie de compétences dans leurs pays d’origine.

    De nombreux étudiants, une fois formés dans des universités européennes, choisissent en effet d’y rester, attirés par de meilleures conditions de vie et des perspectives professionnelles plus stables.

  2. Redondance institutionnelle
    L’UE présente cette ouverture comme une nouveauté, alors que de nombreux accords bilatéraux ou programmes de parrainage entre universités européennes et méditerranéennes existent déjà (coopérations franco-marocaines, italo-tunisiennes, etc.).

    L’intégration dans Erasmus+ risque donc de dédoubler des dispositifs existants, plutôt que de les coordonner efficacement.

  3. Effet d’attraction migratoire
    En rendant les visas étudiants plus accessibles et en créant des « voies légales de migration », l’UE espère réduire l’immigration irrégulière. Mais l’effet inverse pourrait se produire : plus de jeunes verront dans les études en Europe une porte d’entrée vers l’installation durable, alimentant ainsi un flux migratoire indirect mais croissant.

  4. Asymétrie des bénéfices
    Alors que l’Europe y gagne une image de puissance bienveillante et des talents formés selon ses normes, les pays partenaires risquent d’en tirer peu de retombées locales si leurs diplômés émigrent ou si leurs institutions deviennent dépendantes des partenariats européens.

  5. Un instrument géopolitique
    Enfin, cette initiative vise aussi à contrer l’influence croissante de la Chine et de la Russie dans la région. L’UE cherche à se repositionner comme partenaire privilégié, en mobilisant le pouvoir d'influence universitaire.

    La référence explicite de la commissaire Kaja Kallas à la « concurrence d’autres acteurs géopolitiques » confirme cette dimension stratégique du pacte.


Le retour de la religion chez les intellectuels

Une succession d'auteurs et d'intellectuels renommés, autrefois réfractaires à la religion, se tournent vers le christianisme ou y reviennent.

Il y a une génération, les nouveaux athées faisaient fureur. Sam Harris dans La Fin de la Foi : Religion, Terreur et l’avenir de la raison (éd. Calmann-Lévy, 2005) et Christopher Hitchens dans divers essais ont établi un lien direct entre les croyances religieuses et les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Le best-seller international de Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu (2006 en anglais), affirmait sans détour que la religion était responsable de la plupart, sinon de la totalité, des maux causés par l'homme dans le monde. (Le livre était basé sur son documentaire de la même année, The Root of All Evil ?) Breaking the Spell (2006) de Daniel Dennett prétendait expliquer la religion en termes de biologie évolutive. Dieu n’est pas grand (2007 en anglais) de Hitchens faisait la même affirmation, avec son sous-titre peu subtil : comment la religion empoisonne tout.

Depuis, les nouveaux athées ont pratiquement disparu. Hitchens est décédé d'un cancer de l'œsophage en 2011. Les autres intellectuels incroyants ont continué à écrire et à publier, mais leurs déclarations semblaient faire moins de bruit.

Je situe le tournant au printemps 2009, lorsque A.N. Wilson a déclaré qu'il était revenu au christianisme. Le journaliste et biographe britannique était alors depuis deux décennies une épine dans le pied du christianisme anglophone. En 1990, il avait publié une biographie de C.S. Lewis qui se moquait pratiquement de la foi de Lewis. « Against Religion » (littéralement Contre la religion) est paru l'année suivante. Parmi ses ouvrages suivants, on peut citer « Jesus: A Life » (Jésus : une vie) (1992) et « Paul: The Mind of the Apostle » (Paul : l'esprit de l'apôtre) (1997). Le ton de M. Wilson était si impérieux et son attitude envers le christianisme si arrogante qu'une blague circulait selon laquelle son prochain livre s'intitulerait Dieu : une autobiographie. Et pourtant, le voilà qui écrivait dans le magazine de gauche New Statesman, se déclarant chrétien reconverti.

La chute de l'athéisme après ce pic de popularité momentané était en quelque sorte inexorable : après l'annonce qu'il n'y a pas de Dieu, pas d'au-delà et aucune autorité au-delà du présent, que reste-t-il à dire ?

Pendant ce temps, une succession d'auteurs et d'intellectuels célèbres, autrefois indifférents à la religion, sont soit revenus au christianisme, comme Wilson, soit l'ont embrassé à nouveau. En 2016, le classiciste et historien britannique Tom Holland, qui écrivait alors un livre sur la façon dont l'Occident était devenu irrévocablement chrétien dans ses habitudes et sa vision du monde – le livre, publié en 2019, s'intitulerait  Les chrétiens: comment ils ont changé le monde (éd. Saint-Simon) –, a annoncé qu'il s'était trompé sur le christianisme. Selon lui, cette religion est la raison pour laquelle « la plupart d'entre nous qui vivons dans des sociétés post-chrétiennes continuons à considérer comme acquis qu'il est plus noble de souffrir que d'infliger des souffrances. C'est pourquoi nous partons généralement du principe que toutes les vies humaines ont la même valeur ». M. Holland a depuis déclaré qu'il assistait à des offices chrétiens.

Ayaan Hirsi Ali, après avoir rejeté l'islam de sa jeunesse et proclamé son incroyance en Dieu – elle a publié Insoumise en 2006 (2007 en français) –, a été pendant un certain temps considérée comme la nouvelle athée. Elle a annoncé sa conversion au christianisme en 2023. Peu après, son mari, l'historien britannique Niall Ferguson, a déclaré avoir fait de même.

Des phénomènes culturels similaires se sont succédé à un rythme soutenu. Jordan Peterson, psychologue et intellectuel canadien, s'exprime comme s'il était sur le point d'embrasser la foi chrétienne ; voir son dernier livre, Nous qui luttons avec Dieu : Considérations sur le divin. En 2024, M. Dawkins lui-même, sans pour autant professer de croyance religieuse, a déploré l'influence croissante de l'islam dans la vie britannique et s'est déclaré « chrétien culturel ». Paul Kingsnorth, journaliste britannique, romancier et parfois écologiste radical, s'est récemment converti au christianisme orthodoxe.

Il est difficile de savoir ce que tout cela signifie, si ce n'est que l'athéisme est trop ennuyeux pour retenir l'attention des personnes cultivées pendant plus de quelques années. Je suis conforté dans cette opinion par la publication de « Taking Religion Seriously » (littéralement Prendre la religion au sérieux) de Charles Murray. Avec ce petit ouvrage, M. Murray, chercheur à l'American Enterprise Institute, rejoint la liste des intellectuels anciennement agnostiques ou athées.

Il est l'auteur de deux des ouvrages les plus prémonitoires sur la politique et la société américaines publiés au cours des cinquante dernières années, « Losing Ground » (1984) et « Coming Apart » (2012). Le premier montrait que l'État providence américain ne contribuait guère à réduire la pauvreté, mais plutôt à la perpétuer. Le second documentait la situation paradoxale dans laquelle les pauvres américains vivent selon les valeurs contre-culturelles (hédonistes, antifamiliales) que leur enseignent les élites, tandis que ces dernières adhèrent aux conceptions traditionnelles du travail et du mariage.

M. Murray, 82 ans, est également l'auteur de La courbe de Bell : intelligence et classe dominante aux États-Unis (1994, 1996 en français), coécrit avec Richard Herrnstein, et de « Human Accomplishment » (2003). Le premier de ces ouvrages, qui décrivait et déplorait la montée d'une « élite cognitive » dans la vie américaine, a suscité une controverse massive et largement mal informée en raison d'un chapitre sur la race et le QI (écrit par Herrnstein, décédé avant la publication). Ces deux livres sont des ouvrages universitaires impressionnants qui combinent un raisonnement analytique froid et un souci ardent du développement humain.

Mais il est juste de dire que ni l'un ni l'autre ne conduirait quiconque à confondre M. Murray avec un croyant religieux. Il a tendance à accepter les prémisses de la psychologie évolutionniste autrement que ne le font généralement les personnes religieuses. Son livre « Human Diversity » (2020), bien qu'il critique à juste titre l'habitude libérale de blâmer le racisme et le sexisme pour toutes les formes d'inégalité, confère une plus grande importance aux traits génétiques qu'une personne profondément religieuse ne le ferait normalement.

Le titre plutôt aride de son dernier ouvrage m'avait laissé penser qu'il s'agirait d'une défense austère de la religion en général. Je me trompais. Ce livre est un récit très personnel et très accessible d'un changement profond dans la vision du monde de l'auteur : un changement qui s'est opéré progressivement au fil des décennies, mais qui s'est récemment transformé en une sorte de foi chrétienne hésitante et sans artifice.

Quoi qu'on puisse dire d'autre à propos de M. Murray, on ne peut l'accuser de malhonnêteté ou de lâcheté. Il a tendance à dire ce que beaucoup d'autres écrivains et universitaires savent, mais ne peuvent pas dire ou ne peuvent pas dire clairement et sans mille réserves. Il a souvent été catalogué comme idéologue dans les organes libéraux, mais c'est tout à fait faux : en lisant les ouvrages de M. Murray – cela est particulièrement vrai dans « Losing Ground » et « Coming Apart » –, on a souvent l'impression que l'auteur préférerait tirer des conclusions différentes, mais qu'il ne peut pas le faire au vu des preuves.

« Taking Religion Seriously » est, en ce sens, typique de son auteur. M. Murray ne cherchait pas à adhérer à une croyance religieuse. Son épouse, qu'il vénère manifestement, est une quaker qui ne se soucie guère des questions factuelles qui le préoccupent dans ce livre. La principale d'entre elles est la suivante : Jésus de Nazareth a-t-il vaincu la mort ou non ?

La conversion de M. Murray, si c'est bien de cela qu'il s'agit, a commencé au début des années 2000, lorsqu'il a lu quelques récits théoriques sur les origines de l'univers, parmi lesquels « Just Six Numbers » (1999) de Martin Rees. Les conditions nécessaires au soi-disant big bang étaient si improbables que, selon M. Murray, tout ce processus, quel que soit le moment où il s'est produit, ressemblait beaucoup à ce que les chrétiens appellent la création. « Je n'arrive pas à croire que je pense cela », se souvient-il avoir réfléchi, « mais c'est la seule explication plausible » — ce « ce » faisant référence à l'origine divine de toute chose.

D'autres livres ont troublé sa conscience. Un ami chrétien, à qui M. Murray avait demandé comment il était venu à la foi, a cité Les Fondements du christianisme de C.S. Lewis. L'argument de Lewis selon lequel Jésus n'aurait pas pu être un « grand maître moral » s'il n'était pas le Fils de Dieu, comme il le prétendait, a retenu l'attention de M. Murray. La réponse habituelle — que les Évangiles ne rapportent pas ce que Jésus a dit et fait, et que la croyance en sa divinité est une invention beaucoup plus tardive — a conduit M. Murray à lire toute une série d'ouvrages sur les origines des quatre Évangiles. (Dans une série de vignettes, « Taking Religion Seriously » (litt. Prendre la religion au sérieux) énumère tous les livres que l'auteur a lus au cours de son parcours de l'agnosticisme à la croyance.)

L'un de ces livres sur la formation des Évangiles est peut-être le plus important de tous : « Jésus et les témoins oculaires » (2006, non traduit en français) de Richard Bauckham, un ouvrage densément documenté et impartial qui soutient que les Évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) sont plus ou moins ce qu'ils prétendent être : des récits de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus, compilés à partir des témoignages de témoins oculaires. M. Murray a également lu d'éminents comptes rendus critiques des Évangiles, notamment les livres de Bart Ehrman, qui rejettent toutes les affirmations surnaturelles, et n'a pas été très impressionné.

Ces derniers ouvrages, conclut M. Murray, croulent sous le poids des questions sans réponse. Parmi ces questions : si l'idée de la divinité de Jésus est une invention tardive, comme le supposent tous les spécialistes critiques de la Bible, comment se fait-il qu'aucun livre du Nouveau Testament ne fasse allusion à l'événement le plus cataclysmique du judaïsme antique, la destruction du Second Temple en 70 après J.-C. ? Jésus prédit sa destruction dans les Évangiles, ce qui a été interprété comme une insertion ultérieure visant à le faire passer pour un prophète, mais devons-nous croire qu'aucune mention de la destruction effective du temple n'aurait alors jamais été inséré dans aucun livre du Nouveau Testament [si la rédaction de celui-ci est tardive]?

Et pourquoi les Actes des Apôtres se terminent-ils en laissant le lecteur sur sa faim quant au sort des deux personnages les plus importants, alors que nous savons qu'ils sont morts en martyrs ? « Si les gens ont continué à étoffer et à modifier les livres du Nouveau Testament comme le prétendent les révisionnistes, se demande M. Murray, pourquoi personne n'aurait-il ajouté quelques lignes à la fin des Actes pour mentionner la mort de Paul et de Pierre ? » La réponse la plus plausible, bien sûr, est que le récit de Luc a été achevé avant leur mort et que personne, au cours des décennies suivantes, n'a osé le modifier. Et le plus déroutant de tout : pourquoi les disciples de Jésus sont-ils morts en affirmant qu'il était ressuscité des morts alors qu'ils n'avaient ni espéré ni prévu une telle chose au départ, s'ils savaient que cela ne s'était jamais produit ?

Lire Charles Murray sur l'historicité des Évangiles ne figurait pas, inutile de le dire, en tête de ma liste d'attentes pour 2025. Et pourtant, c'est le cas.

En fin de compte, M. Murray aborde toute cette question moins en tant que croyant qu'en tant que spécialiste des sciences sociales, évaluant les probabilités et nuançant ses conclusions. Concernant l'étrange certitude des apôtres que Jésus était ressuscité, M. Murray écrit qu'il est seulement sûr que « quelque chose de transformateur est arrivé aux apôtres et aux autres disciples de Jésus peu après la crucifixion, et que cette chose a permis aux apôtres de convaincre très rapidement de nombreuses personnes » (c'est lui qui souligne). Il écrit qu'il a « récemment acquis la conviction que l'au-delà est une possibilité réaliste » – une formulation qu'un croyant ordinaire n'utiliserait pas – et observe qu'il « n'a peut-être pas le don de la foi ».

Peut-être pas, mais il est assez clair que quelque chose lui est arrivé.

Source : Wall Street Journal

Taking religion seriously

Par Charles Murray
Publié par Encounter, 
200 pages,  29,99 $ US

Présentation de l'éditeur

« Des millions sont comme moi quand il s'agit de religion : des gens bien éduqués et prospères pour qui la religion n'a pas été pertinente », écrit Charles Murray. « Pour eux, je pense que j'ai une histoire qui vaut la peine d'être racontée. » Prendre la religion au sérieux est le récit autobiographique de Murray d'une évolution de plusieurs décennies dans sa position vers l'idée de Dieu en général et du christianisme en particulier. Il soutient que la religion est quelque chose qui peut être abordé comme un exercice intellectuel. Son récit passe de la physique improbable du Big Bang à des découvertes récentes sur la nature de la conscience ; de la psychologie évolutionniste aux hypothèses sur une loi morale universelle. Son exploration du christianisme plonge dans la paternité des Évangiles, la fiabilité des textes qui survivent et l'érudition entourant l'histoire de la résurrection. Murray, l'auteur de Coming Apart et coauteur de Courbe de Bell, n'écrit pas en tant qu'expert. « Si vous prenez la religion au sérieux pour la première fois, vous êtes confronté au même problème que moi : nous sommes obligés de décider ce que nous faisons d'une grande variété de sujets que nous n'avons pas la possibilité de maîtriser ». Il offre son exemple personnel du fonctionnement du processus. « Peut-être que Dieu a besoin d'un moyen d'atteindre des agnostiques suréduqués et c'est ce dans quoi je suis tombé », écrit-il. « C'est un processus plus aride que la révélation divine, mais il a été gratifiant. Et si vous êtes comme moi, c'est le seul jeu en ville. »
 
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Nlle-Calédonie — Les communards se portèrent volontaires pour mater la révolte indigène

Après la chute du second Empire et l’écrasement de la Commune en 1871, quelque 5000 condamnés, parmi lesquels Henri Rochefort et Louise Michel, sont envoyés aux antipodes, sur l’île Nou et l’île des Pins. Ils rejoignent plusieurs centaines de Kabyles déportés après la révolte du bachaga Mokrani, en 1871. Amnistiés au terme d’une décennie, les premiers vont retourner en France, les seconds, qui finiront pardonnés, feront souche.
En juin 1878, des massacres de colons, atrocement mutilés, sèment la panique et font douter de la viabilité de la colonie. Des clans canaques tirent prétexte de la divagation du bétail sur leurs cultures vivrières pour déclencher une révolte sanglante. Pendant plusieurs mois, des bandes armées sèment la terreur dans l’arrière-pays. On recense 200 morts chez les Européens. À Nouméa, l’effroi est tel que des armes sont distribuées aux condamnés. Les communards, quoique issus de l’extrême gauche politique, se portent volontaires pour mater la révolte canaque. Seule Louise Michel soutient les insurgés.

Mais c’est le ralliement, à l’instigation du lieutenant de vaisseau Jules Servan, des guerriers du chef Nondo, de Canala, qui permet l’écrasement de l’insurrection. Ces derniers vont tuer le chef rebelle Ataï, lui couper la tête, envoyée à Paris au musée d’Ethnographie : la restitution du crâne du chef et de celui de son sorcier Andja à la Nouvelle-Calédonie n’est intervenue qu’en septembre 2014… Des pièces qui ont été volées en juillet 2024 lors des troubles qui ont frappé l’archipel.


Source :Valeurs Actuelles

vendredi 17 octobre 2025

États-Unis — le succès des immigrants Africains remet-il en question le racisme comme principal frein

En 1960, moins de 1 % des immigrants américains provenaient du continent africain. En 2020, ce chiffre avait grimpé à 11 %, marquant une transformation profonde de la démographie noire aux États-Unis.Au cours des 30 dernières années, environ 2 millions d’Africains ont immigré aux États-Unis, un chiffre quatre fois supérieur au nombre d’Africains déportés sur le continent nord-américain pendant toute la traite négrière transatlantique.

Aujourd’hui, plus d’un quart de la main-d’œuvre noire est née à l’étranger ou a des parents nés à l’étranger, redéfinissant radicalement ce que signifie être noir en Amérique. Les Africains, qui représentent désormais près de la moitié des immigrants noirs, forment l’un des groupes à la croissance la plus rapide. Les Caribéens et les Latino-Américains noirs contribuent également à cette diversification.Une étude récente de Rong Fu (université Waseda, Japon), Neeraj Kaushal (université Columbia) et Felix Muchomba (université Rutgers) démontre que cette vague d’immigration noire réduit l’écart de revenus entre Noirs et Blancs, stagnant depuis des décennies. 

Les immigrants noirs, souvent mieux éduqués que les Noirs nés aux États-Unis et les autres immigrants, s’installent dans des quartiers plus prospères, à majorité blanche, avec des écoles de qualité. Le succès des immigrants noirs semble promis à s’amplifier. Les fils d’immigrants gagnent davantage que ceux des
Noirs américains, bien qu’en deçà des Blancs. Plus frappant encore, leurs filles surpassent en moyenne les femmes blanches en termes de revenus. « Les Africains noirs sont en passe de devenir la prochaine minorité modèle », affirme Neeraj Kaushal, soulignant leur ambition et leur ténacité.

Ce dynamisme peut toutefois susciter des tensions. Autour d’un plat de bananes plantains frites au gingembre, Yvonne McCowin, consul honoraire du Ghana en Géorgie, confie que certains Africains jugent les Noirs américains insuffisamment combatifs face aux opportunités.De nombreux immigrants, ayant survécu à des conflits dévastateurs, adoptent une approche pragmatique face au racisme en Amérique. 

Olivia Mugenga, avocate rwandaise spécialisée dans les droits humains, dont la mère et les grands-parents ont péri lors du génocide contre les Tutsis, illustre ce point : « Les Noirs américains nous perçoivent parfois comme des ‘serviteurs domestiques’, un terme popularisé par Malcolm X pour désigner ceux qui s’accommodent d’un système oppressif pour réussir. Je ne suis pas une servante domestique ; je n’ai simplement pas le temps de prouver mon humanité aux Blancs. »

Les conservateurs citent souvent les immigrants caribéens et africains comme preuve que les Noirs peuvent prospérer aux États-Unis malgré les préjugés. Colin Powell, fils d’immigrants jamaïcains, l’a résumé ainsi : « J’ai surmonté le racisme. » Pourtant, Camilla Moore, présidente du Georgia Black Republican Council, rejette cette comparaison. « Les Africains et les Noirs américains n’ont rien en commun », déclare-t-elle. « Ils ressemblent davantage aux immigrants chinois ou allemands, dont les familles ont les moyens d’accéder à des institutions comme Harvard. » Elle ironise sur l’idée de discuter des droits civiques avec un Nigérian.

Un coiffeur d’un quartier noir d’Atlanta observe une nouvelle clientèle africaine croissante. Ce qui le frappe, au-delà des tensions, ce sont leurs choix de coupes : les Noirs américains privilégient des « afros bouclées, élégantes », tandis que les Africains optent pour un style sobre, « court et rasé près du cuir chevelu ». Pour lui, cela reflète une différence d’état d’esprit : « Les Africains cherchent avant tout à s’intégrer. »

[Note du carnet : Si l'étude ajuste les écarts de revenus pour l'éducation et analyse les tendances d'installation par État via une simulation, elle ne semble pas inclure d'ajustement explicite pour le coût de la vie. Or les immigrants africains se concentrent dans les villes où les salaires sont certes plus importants que dans les campagnes mais où le coût de la vie est plus haut. L'absence d'ajustement pour le coût de la vie rend la comparaison potentiellement biaisée, en faveur des immigrants urbains. Ces résultats pourraient surestimer le "succès" financier des immigrants noirs en ignorant le coût plus élevé des zones qu'ils choisissent (par exemple : New York) par rapport aux zones rurales du Sud, où vivent plus de natifs noirs américains.]


Source : The Economist

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Quand l’intelligence artificielle défie l’intégrité universitaire : les scandales de l’ULB et du concours médical belge

Ces derniers mois, la Belgique a été secouée par deux affaires révélatrices des défis posés par l’intelligence artificielle (IA) dans le monde universitaire. À l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et lors du concours d’entrée en médecine en Flandre, l’usage présumé d’IA pour tricher a mis en lumière les failles des systèmes d’évaluation et déclenché des débats brûlants, mêlant égalité, technologie et prétendue islamophobie.



À l’ULB, une mesure anti-triche devient polémique religieuse

En juin 2025, un examen de génétique en deuxième année de psychologie à l’ULB a provoqué une controverse inattendue. Le professeur Christophe Leys, doyen de la faculté, a imposé une consigne stricte : tous les étudiants devaient dégager leurs oreilles et poignets pour s’assurer qu’aucun dispositif connecté, comme une oreillette Bluetooth ou une montre intelligente, ne soit utilisé. L’objectif : empêcher qu’un étudiant soumette une question à une IA, comme ChatGPT, via un téléphone discret, et reçoive la réponse audio en quelques secondes.

Si la mesure semblait justifiée pour garantir l’égalité devant les examens, elle a rapidement déclenché un scandale. Plusieurs étudiantes voilées ont refusé le contrôle, dénonçant une atteinte à leur liberté religieuse et une discrimination islamophobe. L’Union Syndicale Étudiante (USE) a parlé d’une mesure « extrêmement discriminante », et un signalement a été déposé auprès de la Cellule Genres et Diversité de l’université ainsi que de l’UNIA, qui l’a jugée « attentatoire à la dignité ».

Le professeur Leys avait déjà tenté un contrôle similaire en janvier 2025 avec l’aide d’assistantes féminines, mais celles-ci avaient trouvé l’exercice « trop violent ». Il a alors proposé un examen oral en alternative, mais cette solution a été perçue par l’USE comme une nouvelle forme de discrimination. Le 17 juin, plusieurs cercles étudiants ont organisé une manifestation silencieuse devant le grand auditoire Janson. Le rectorat de l’ULB a finalement opté pour des contrôles ponctuels plutôt que systématiques, une décision critiquée par le professeur Leys qui estimait ses prérogatives bafouées.

Cette affaire illustre un dilemme complexe : comment garantir l’intégrité des examens face aux outils technologiques tout en respectant les sensibilités culturelles et religieuses, réelles ou alléguées ? On évoque des solutions comme les brouilleurs de signal ou les examens oraux. Le Mouvement Réformateur (MR) a soutenu le professeur Leys, rappelant que la liberté religieuse ne peut servir de prétexte pour contourner des règles neutres. À l’Université de Liège, des mesures similaires existent dans le règlement et sont appliquées sans heurts majeurs.

En Flandre, un concours médical entaché par une fraude massive à l’IA

Un second scandale a éclaté lors du concours d’entrée en médecine et dentisterie en Flandre, organisé le 6 juillet 2025. Pour la première fois, l’examen s’est déroulé en ligne, sur des ordinateurs fournis dans 70 centres, avec des mesures de sécurité censément strictes : navigation verrouillée, accès internet bloqué. Pourtant, les résultats ont surpris tout le monde : sur 5 544 candidats, 47 % ont réussi, contre 18,9 % en 2024 et 37 % en 2023, alors que la difficulté des épreuves restait comparable.

Les soupçons se sont rapidement tournés vers une fraude massive facilitée par l’IA. Trois candidats ont été exclus pour usage avéré de ChatGPT via une faille technique permettant d’ouvrir des onglets qui permettait d'accéder à Internet. D’autres irrégularités ont été détectées : écouteurs dissimulés, codes gestuels, voire photos d’écrans partagées.

L’affaire a pris une tournure judiciaire. Avec seulement 1 740 places disponibles, environ 870 candidats admis ont été écartés par tirage au sort, suscitant la colère des recalés. Plusieurs plaintes ont été déposées, dont cinq devant les tribunaux. Des témoignages anonymes évoquent des centres laxistes où « ouvrir un nouvel onglet était un jeu d’enfant ». Axelle Mpinganzima, de l’organisme Up2Study, confirme que les IA modernes excellent dans ce type de tests, rendant le bond de réussite « invraisemblable sans aide extérieure ».

La ministre flamande de l’Enseignement, Zuhal Demir, a tenté de minimiser l’affaire, évoquant « un nombre limité de cas ». Mais Jan Eggermont, président de la commission d’examen, a reconnu des failles techniques. Une enquête est en cours, basée sur l’analyse des journaux de bord informatiques, mais prouver rétroactivement l’usage d’IA reste difficile sans aveux ou preuves matérielles. Trois candidats ont été pris en flagrant délit et exclus. Pour 2026, le concours repassera au format papier centralisé, une décision saluée mais jugée tardive.

Un défi global pour l’éducation

Ces incidents ne sont pas isolés. Partout dans le monde, les universités explorent des solutions : IA anti-triche, examens oraux ou environnements ultra-sécurisés. En Belgique francophone, le concours médical du 28 août 2025, resté sur papier, a évité ces écueils, avec un taux de réussite stable de 28 %. 
 
Sources : RTBF, RTL Info, La Libre, Le Point, Sudinfo

jeudi 16 octobre 2025

Les étudiants doivent apprendre à être plus que de simples gardiens décérébrés de machines « intelligentes »

Les étudiants à l'université se sont tournés vers l'intelligence artificielle de la même manière qu'un nouveau conducteur anxieux, muni d'une carte routière froissée, pourrait se tourner vers un GPS, c'est-à-dire avec avidité et de manière compréhensible.

Les perspectives professionnelles des étudiants dépendront de la valeur ajoutée qu'ils pourront apporter au-delà de ce qu'une machine peut régurgiter. 

Une enquête menée auprès d'étudiants britanniques de premier cycle par le groupe de réflexion Higher Education Policy Institute montre que 92 % d'entre eux utilisent une forme ou une autre d'IA générative cette année, contre 66 % l'année dernière, tandis que 88 % l'ont utilisée dans le cadre d'évaluations, contre 53 % l'année dernière.

Que devraient faire les universités ? Dire aux étudiants que vous allez poser la même question à un outil tel que ChatGPT ? Ils seront notés en fonction de la qualité de leur version par rapport à celle de la machine : à quel point elle est plus originale, créative, perspicace ou précise. Ou bien leur donner la version IA et leur demander de l'améliorer, ainsi que d'identifier et de corriger ses hallucinations ?

Après tout, les perspectives professionnelles des étudiants dépendront de la valeur ajoutée qu'ils pourront apporter, au-delà de ce qu'une machine peut produire. En outre, des études sur l'utilisation de l'IA au travail suggèrent que ces tâches d'édition et de supervision deviendront de plus en plus courantes. Une étude Microsoft publiée cette année sur l'utilisation de l'IA générative par des employés du secteur de la connaissance a révélé que cet outil avait modifié « la nature de la pensée critique », passant de « la collecte d'informations à la vérification d'informations », de « la résolution de problèmes à l'intégration de réponses fournies par l'IA » et de « l'exécution de tâches à la gestion de tâches ».

Mais comme beaucoup de solutions agréablement simples à des problèmes complexes, la suggestion ci-dessus s'avère apparemment être une très mauvaise idée. Maria Abreu, professeure de géographie économique à l'université de Cambridge, a confié au Financial Times que son département avait mené des expériences dans ce sens. Mais lorsque les étudiants de premier cycle ont reçu un texte généré par l'IA et ont été invités à l'améliorer, les résultats ont été décevants. « Les améliorations étaient très superficielles, elles ne changeaient pas la structure des arguments », a-t-elle déclaré.

Les étudiants en maîtrise ont obtenu de meilleurs résultats, peut-être parce qu'ils avaient déjà affiné leur capacité à penser de manière critique et à structurer leurs arguments. « Le problème est le suivant : si nous ne les formons pas à penser par eux-mêmes, ne risquent-ils pas de ne pas développer cette capacité ? » Après être  passé à des évaluations du travail des étudiants à distance grâce Internet dans le cadre de la gestion de la Covid-19, le département d'Abreu revient désormais à des conditions d'examen traditionnel « sur table ».

Michael Veale, professeur associé à la faculté de droit de l'University College London, a déclaré que son département était également revenu à des examens plus traditionnels. M. Veale, qui est un expert en politique technologique, considère l'IA comme une « menace pour le processus d'apprentissage », car elle offre un raccourci séduisant aux étudiants pressés par le temps et soucieux d'obtenir de bonnes notes.

« Nous sommes inquiets. Notre rôle est de les mettre en garde contre ces raccourcis, qui limitent leur potentiel. Nous voulons qu'ils utilisent les meilleurs outils pour leur travail lorsqu'ils entreront dans la vie active, mais il y a un moment pour cela, et ce moment n'est pas toujours au début », explique-t-il.

Cette préoccupation ne s'applique pas uniquement aux matières basées sur la rédaction d'essais. Une étude menée par l'ACM Digital Library auprès de programmeurs débutants a révélé que les étudiants ayant obtenu de meilleures notes utilisaient intelligemment les outils d'IA générative pour « accélérer la recherche d'une solution ». D'autres ont obtenu de mauvais résultats et ont probablement acquis des idées fausses, mais ont conservé « une illusion injustifiée de leur compétence » à cause de l'IA.

Il se pourrait qu'on observe bientôt les mêmes tendances dans le monde du travail. L'étude menée par Microsoft (qui déploie d'énormes efforts pour introduire l'IA sur le lieu de travail) auprès des travailleurs du savoir a révélé que les outils d'IA générative « réduisent l'effort perçu de la pensée critique tout en encourageant une dépendance excessive à l'IA ».

Bien sûr, cela n'a rien de nouveau. En 1983, Lisanne Bainbridge a mis le doigt sur le problème dans un article célèbre intitulé « Ironies of Automation » (Les ironies de l'automatisation). Elle affirmait que les humains à qui l'on demandait d'être des « opérateurs chargés de surveiller les machines » verraient leurs compétences et leurs connaissances s'atrophier par manque d'utilisation régulière, ce qui rendrait plus difficile leur intervention en cas de besoin.

Dans de nombreux cas, cela n'a pas posé de problème. Les gens ont adopté le GPS et ont oublié comment s'orienter correctement. Le monde ne s'est pas écroulé. Mais tout le monde ne pourra pas accepter sans critique les résultats souvent erronés de l'IA dans un large éventail de tâches professionnelles.
Comment éviter un tel avenir ? Comme pour les étudiants en programmation, il semble que la réponse réside dans la maîtrise de son domaine : l'étude de Microsoft a révélé que les personnes ayant une plus grande confiance en elles, qui savaient qu'elles pouvaient accomplir la tâche sans IA si elles le souhaitaient, faisaient preuve d'un esprit plus critique.

Les chercheurs ont conclu que « mettre l'accent sur le maintien des compétences fondamentales en matière de collecte d'informations et de résolution de problèmes aiderait les travailleurs à éviter de devenir trop dépendants de l'IA ». En d'autres termes, pour utiliser efficacement plutôt que de manière irréfléchie les raccourcis fournis par l'IA, il faut d'abord savoir comment procéder en s'en passant.

Source : Financial Times

L'esclavage musulman n'était pas moins raciste que celui du Sud des États-Unis

Peinture du XVIIIe siècle représentant le sultan Selim III (1761-1808)  reçoit ici les chefs de l’empire devant la porte de la Félicité, au palais de Topkapi, à Constantinople. À l'exception de ceux qui s'approchent du trône et du sultan, tous ici sont des esclaves. 


« J'ai conduit mon chameau préféré, Asfar, un animal au caractère doux, dans la ville oasis libyenne de Mourzouk. » Cette phrase, tirée de l'ouvrage de Justin Marozzi intitulé « Captives and Companions: A History of Slavery and the Slave Trade in the Islamic World » (Captifs et compagnons : une histoire de l'esclavage et de la traite des esclaves dans le monde islamique), nous rappelle que l'autorité de M. Marozzi en tant qu'historien ne découle pas seulement de sa maîtrise des sources – bien qu'il en apporte la preuve avec près de 70 pages de bibliographie et de notes dans son livre –, mais aussi de son vécu profond et singulier dans les pays musulmans.

À la fin des années 1990, alors qu'il était encore jeune, M. Marozzi a traversé le désert nord-africain à dos de chameau. Plus tard, il a tenté de construire une société civile dans l'Irak et la Libye déchirés par la guerre et a été brièvement kidnappé par des miliciens touaregs. En 2011, il a entendu un révolutionnaire libyen interpeller un frère d'armes à la peau noire : « Hé, esclave ! Va me chercher un café ! », ce qui l'a incité à mener une enquête sur l'esclavage – son histoire, les préjugés qui l'entourent et ses répercussions – dans le monde islamique.

L'esclavage y a prospéré, nous dit M. Marozzi, pendant un millénaire de plus que la version transatlantique, et a probablement asservi plus de personnes (17 millions, selon une étude, contre 12 à 15 millions vendues dans le cadre de la traite transatlantique). Cette pratique a finalement été abolie sous la pression occidentale et après des décennies de résistance, de tergiversations et de reports ; dans le cas de l'Arabie saoudite, elle était légale jusqu'en 1962. Même aujourd'hui, elle reste flagrante, comme en témoignent le million de personnes environ qui, selon les estimations de Temedt, une organisation anti-esclavagiste, vivent comme des esclaves héréditaires au Mali, travaillant dur dans les champs, effectuant des tâches subalternes et, dans le cas des femmes, « régulièrement violées », nous dit M. Marozzi. Alors pourquoi cette histoire est-elle si peu connue ?

Jusqu'à récemment, la réticence des sociétés musulmanes modernes à se pencher sur un épisode peu flatteur de leur passé, ainsi que l'attention constante des historiens occidentaux pour l'esclavage dans les Amériques, avaient généré, selon les termes des spécialistes du Moyen-Orient cités par M. Marozzi, un « silence assourdissant » et une « amnésie collective » sur le sujet. S'appuyant sur les travaux d'une nouvelle génération d'historiens turcs et nord-africains qui ont remis en question « le déni par défaut », M. Marozzi raconte l'histoire dans toute sa richesse, sa diversité et son horreur, depuis les concubines esclaves qui utilisaient le sexe et la poésie pour séduire les califes de Bagdad au IXe siècle jusqu'à la chasse aux esclaves qui s'est généralisée en Méditerranée occidentale aux XVIe et XVIIe siècles, à l'époque des « corsaires barbaresques ».

Plus important encore, M. Marozzi réexamine l'orthodoxie réconfortante selon laquelle l'esclavage dans le monde islamique était intrinsèquement bénin, avec des propriétaires d'esclaves bienveillants, l'affranchissement courant après seulement quelques années et le prétendu insensibilité à la couleur de peau de l'islam qui excluait le racisme inhérent à l'esclavage dans le sud des États-Unis. Le résultat est un ouvrage révisionniste monumental qui modifiera les points de vue sur l'esclavage à l'intérieur et à l'extérieur du monde islamique.

Des soldats esclaves mamelouks, recrutés parmi les tribus kipchaks de ce qui est aujourd'hui le sud de la Russie et l'Ukraine, à Hürem, la puissante épouse du sultan ottoman Soliman le Magnifique, qui a commencé sa carrière comme lot au marché aux esclaves d'Istanbul, le trope de l'esclave qui gravit les échelons sociaux contient plus qu'un grain de vérité. Cependant, il existe une grande ambiguïté liée aux origines de l'islam.

Des Arabes conduisant des Africains réduits en esclavage à travers le Sahara. En 1863, un fonctionnaire britannique estimait que le taux de mortalité sur cette route meurtrière dépassait 80 %. Il est estimé à environ 10 à 20 % selon les routes et les époques pour la traite transatlantique. 

Le fait que Mahomet lui-même possédait de nombreux esclaves et que le Coran enjoigne la compassion envers les esclaves – idéalement dans le but de les affranchir – rendait impossible, même pour les réformateurs islamiques du XIXe siècle, qui considéraient l'esclavage comme une tache sur leur civilisation, de soutenir, comme le faisaient les abolitionnistes chrétiens, que la propriété d'une personne par une autre était par définition offensante pour Dieu. La tendance à justifier l'esclavage par des motifs raciaux n'était pas moins répandue parmi l'élite musulmane qu'elle ne l'était parmi les propriétaires de plantations dans le sud des États-Unis. Il est déconcertant de lire l'opinion du penseur médiéval Ibn Khaldoun, par exemple, dont les théories sur l'ascension et la chute des civilisations sont encore citées aujourd'hui, selon laquelle les nations africaines étaient, comme le cite M. Marozzi, « soumises à l'esclavage, car [les Noirs] ne possèdent que peu [d'attributs] humains et ont des caractéristiques assez similaires à celles des animaux stupides ».

M. Marozzi décrit les innombrables routes (« capillaires plutôt qu'artères ») empruntées pour conduire les esclaves africains subsahariens vers le nord, jusqu'à la Méditerranée, où ils étaient embarqués sur des navires qui les transportaient vers Stamboul et d'autres marchés. Pendant plusieurs siècles, l'équivalent désertique de la tristement célèbre traversée de l'Atlantique a été le théâtre d'un exode aussi vaste que meurtrier : on raconte qu'en 1849, quelque 1 600 esclaves d'une seule caravane sont morts de soif quelque part entre le lac Tchad et Mourzouk.

M. Marozzi n'hésite pas non plus à aborder d'autres sujets douloureux. Interdite par Mahomet mais perpétuée par les dirigeants islamiques, qui estimaient que les femmes de leur harem devaient être surveillées par des hommes qui ne les menaceraient pas sexuellement, la castration des esclaves était confiée à des moines chrétiens. Le taux de mortalité lié à cette procédure innommable était si élevé qu'en 1868, l'explorateur français Raoul du Bisson estimait que 35 000 garçons africains perdaient la vie chaque année au Soudan pour une récolte de 3 800 eunuques.

L'esclavage islamique prospéra au-delà du monde islamique, ses principaux représentants étant parfois des convertis à la sincérité douteuse qui priaient la Vierge Marie pour un changement de vent si Allah les décevait, ou se livraient à des beuveries lorsqu'ils étaient à terre. « Ne laissez pas les Turcs nous ravager à nouveau ! » titrait le journal le plus populaire d'Islande lorsque la Turquie a affronté l'Islande au football en 1995, alors que la razzia à laquelle il faisait allusion, en 1627, avait été menée par « un renégat néerlandais riche, intelligent et opportuniste appelé Jan Janszoon », dont le nom musulman était Mourad Raïs.

Ce livre passionnant regorge de ce genre d'ironies. Ainsi, les Britanniques, qui avaient été des esclavagistes enthousiastes, ont ensuite contraint les dirigeants musulmans à mettre fin à leur propre version de cette pratique. Sur les 52 « corsaires barbaresques » capturés par les Hollandais en novembre 1614, seuls quatre étaient des musulmans nord-africains, les 48 autres étant « des marins en quête de fortune venus d'Angleterre et des Pays-Bas ».


Source : Wall Street Journal


Captives and companions
A History of Slavery and the Slave Trade in the Islamic World
Par Justin Marozzi 
chez Pegasus, 
560 pages, 45,50 $ canadiens
ISBN-10 ‏ : ‎ 1639369732
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-1639369737


Notons que Marozzi n'évite pas les écueils apologétiques habituels quand il s'agit de parler de la religion islamique (par opposition aux États musulmans) quand il écrit par exemple:
Le Coran esquisse donc les grandes lignes de la position et de l'attitude des musulmans à l'égard de l'esclavage. L'image qui se dégage, tout d'abord, est celle d'une acceptation totale de l'esclavage comme partie intégrante de la vie sur terre. Il n'y a aucune volonté de l'éradiquer. Il appelle ensuite à la bienveillance envers les esclaves et, dans un certain nombre de circonstances, encourage leur émancipation. En appelant à la libération des esclaves pour expier les péchés, en recommandant l'utilisation de l'aumône pour les émanciper et en insistant sur un comportement humain à leur égard, le Coran était considérablement plus éclairé et plus favorable que n'importe quel système chrétien, juif ou romain. Alors que les chrétiens professaient l'égalité devant Dieu, que les juifs offraient des peines réduites pour l'adultère avec des esclaves et que les romains interdisaient la prostitution des esclaves, seul le Coran faisait les trois, ce qui en faisait peut-être « la législation la plus progressiste de son époque en matière d'esclavage ». L'avènement de l'islam a « considérablement amélioré » le sort des esclaves arabes, leur conférant des droits quasi légaux, et a représenté une « vaste » amélioration par rapport à l'esclavage pratiqué dans l'Antiquité, de la Grèce et Rome aux Byzantins et Sassanides. 
Ceci n'est pas sans rappeler les manuels d'éthique et de culture religieuse du Québec qui affirmaient notamment que « L’arrivée de Muhammad [Mahomet], au 7e siècle, améliore la situation de la femme. »

Ce paragraphe de Marozzi est problématique à plusieurs égards, tant sur le plan historique que sur celui de l'analyse comparative. Il fait preuve d'une simplification excessive et d'un biais apologétique marqué. Le texte présente le Coran comme une législation révolutionnaire en matière d’esclavage, prétendument « plus éclairée » que les systèmes chrétiens, juifs ou romains. Cette affirmation est largement exagérée et omet des éléments essentiels du contexte tardo-antique.

Dès le VIᵉ siècle, le Corpus Juris Civilis de Justinien, encore en vigueur dans l’Empire byzantin lors de l’apparition de l’islam, contenait déjà des dispositions comparables : limitation des abus physiques des maîtres (Digestes 1.6.2) et encouragement de la manumission pour des motifs chrétiens tels que la charité ou l’expiation des péchés. Ces principes rejoignent les exhortations coraniques à la bienveillance, à la libération expiatoire (sourate 2:177) ou au contrat d’affranchissement (mukātabah, 24:33), que le texte initial présente à tort comme des innovations uniques.

De même, le judaïsme et le christianisme avaient déjà développé des normes de compassion à l’égard des esclaves. La Torah impose la libération des esclaves hébreux après six ans (Exode 21:2-6) et interdit les abus graves (Lévitique 25:43), tandis que le Talmud et les conciles chrétiens encouragent la libération des captifs pour des raisons spirituelles. L’égalité devant Dieu, invoquée par Paul (Galates 3:28), était au cœur du message chrétien, même si elle restait imparfaitement appliquée. La prétention selon laquelle seul le Coran aurait réuni égalité, libération et interdiction de la prostitution est donc historiquement inexacte.

Enfin, le texte minimise les réformes byzantines et la transformation du système social au VIIᵉ siècle : l’esclavage y déclinait déjà au profit du servage (paroikoi/πάροικοι), offrant davantage d’autonomie que l’esclavage classique. L'Église byzantine encourage la manumission, souvent par des actes pieux ou testamentaires (Ecloga de Léon III, VIIIᵉ siècle, mais en germe au VIIᵉ ). Les esclaves chrétiens peuvent être libérés pour des raisons spirituelles, un parallèle direct avec l'expiation coranique. De plus, l'interdiction d'asservir des chrétiens libres (loi de 524) limite l'expansion de l'esclavage interne, contrairement au califat omeyyade, où l'esclavage des non-musulmans reste une pratique courante.

En somme, l’islam primitif s’inscrit dans une évolution commune aux traditions byzantine, juive et chrétienne ; le présenter comme la législation la plus progressiste de son temps relève davantage de la rhétorique apologétique que de l’analyse historique. Peut-être doit-il donner certains gages pour faire passer son ouvrage déjà fort révisionniste.

mercredi 15 octobre 2025

Le projet de constitution québécoise inquiète les pro-avortements (et les pro-vie)

Des groupes féministes et pro-avortements demandent de retirer la protection de l’accès à l’avortement du projet de constitution québécoise. Québec risque d’ouvrir une brèche favorable au mouvement pro-vie, craint-on.

Le ministre Simon Jolin-Barrette croyait bien faire, pourtant il est déjà confronté à une levée de boucliers. Le document présenté jeudi prévoit que « l’état protège la liberté des femmes d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

Mais la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) est inquiète.

Puisque la constitution québécoise pourra être modifiée par une simple majorité du parlement, rien n’empêchera un futur gouvernement de l’amender pour inclure des restrictions, souligne-t-elle.

Les mouvements pro-vie « attendent un tel projet depuis 1988 », affirme la FQPN. On peut penser, par exemple, à l’interdiction des avortements tardifs.


Rappelons qu'un sondage DART & Maru/Blue publié en 2020 par le National Post révèlait que, malgré un fort appui au droit à l’avortement au Canada, les opinions se durcissent concernant les avortements tardifs. Si 71 % des Canadiens soutiennent l’accès à l’avortement « quand une femme le décide », quand les sondeurs poussent plus loin leurs questions, on apprend que 70 % estiment que celui-ci devrait être généralement illégal au troisième trimestre (à partir de 28 semaines), sauf pour des raisons médicales graves. De plus, 57 % souhaitent des restrictions dès le deuxième trimestre (14-28 semaines), et une vaste majorité rejette les avortements pour sélection du sexe du fœtus. Cette dualité reflète une complexité dans l’opinion publique : un engagement théorique fort pour le droit des femmes à choisir (en l'absence de débat social et du silence des médias sur des cas d'avortement tardif), mais une réticence croissante à banaliser les interventions tardives sans justification médicale. 

Nouvelle approche

La même mise en garde avait été faite quand le gouvernement caquiste a voulu faire adopter une loi pour protéger le droit à l’avortement. Québec avait finalement reculé en 2023. Jeudi, le ministre de la Justice assurait que sa nouvelle démarche permettait d’éviter cet écueil.

« Le libellé que nous avons choisi a été mûrement réfléchi pour, justement, prendre en considération ces craintes-là […] », expliquait Simon Jolin-Barrette. 

Ainsi, plutôt que de garantir directement le droit à l’avortement, Québec a choisi de protéger « la liberté des femmes » d’y avoir recours.

« Ce que la CAQ fait est dangereux et constituerait un grave recul », affirme la porte-parole de Québec solidaire, Ruba Ghazal. Le ministre Jolin-Barrette, lui, se dit « très sensible » aux préoccupations de la FQPN, qu’il a rencontrée, précise-t-il.

Le mouvement pro-vie indigné
 
Campagne Québec-Vie dénonce avec la plus grande vigueur l’inscription d’un droit à l'avortement, qui « consacre l’élimination délibérée d’un être humain à naître comme élément constitutif de l’identité québécoise.»

« Nous sommes indignés — mais non surpris. Depuis trop longtemps, le Québec officialise l’oubli de ses racines spirituelles, de sa tradition de défense de la vie, et du sens même de la solidarité humaine. »

Campagne Québec-Vie, demandons à l’Assemblée nationale de :
  •     Retirer les articles constitutionnalisant l’avortement et l’euthanasie ;
  •     Reconnaître les fondements chrétiens de l’identité québécoise ;
  •     Lancer un véritable dialogue avec les communautés de foi, les familles et les défenseurs de la vie.


Sources : Journal de Québec, National Post, QCV

mardi 14 octobre 2025

Au Sud rien de nouveau ?


Les « rencontres » entre migrants et agents de la police des frontières ont commencé à diminuer au cours de la dernière année du mandat de Joe Biden. Après l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, elles ont chuté à leur plus bas niveau depuis des décennies (voir graphique au dessus ci-contre). À Tijuana, les travailleurs humanitaires affirment que les refuges pour migrants, autrefois bondés, sont aujourd'hui presque vides, à l'exception des Mexicains fuyant la violence dans leurs villes natales. Il ne semble pas s'agir d'une accalmie passagère. Presque personne ne se rend plus au nord en passant par le passage de Darién, une jungle dangereuse à la frontière entre la Colombie et le Panama qui était devenue une voie de passage pour les migrants du monde entier souhaitant demander l'asile aux États-Unis (voir graphique au dessous ci-contre). Une petite migration inverse a même commencé. Au moins 15 000 personnes, principalement des Vénézuéliens, sont retournées en Amérique du Sud depuis janvier.

M. Trump revendique la victoire sur la question qui a lancé sa carrière politique il y a dix ans. « À notre frontière sud, nous avons réussi à repousser une invasion colossale », a-t-il déclaré le mois dernier devant l'Assemblée générale des Nations unies. De nombreux experts en matière de frontières sont à juste titre sceptiques quant à l'efficacité des mesures coercitives seules. Ils affirment que la frontière entre les États-Unis et le Mexique est si longue (3 145 km) et les passeurs si rusés que les gens trouveront toujours de nouveaux moyens de la franchir. Cet argument a tenu bon, jusqu'à présent.

L'administration Trump a mobilisé toute la puissance du gouvernement fédéral pour mettre fin à l'immigration clandestine. Son approche « est multicouche, semblable à un oignon », explique Adam Isacson, du Washington Office on Latin America, un groupe de réflexion. Les démonstrations de force militaire, les sanctions plus sévères pour les personnes qui franchissent la frontière, les expulsions spectaculaires sans procès vers des prisons au Salvador et l'interdiction de l'asile se renforcent mutuellement. L'organisme des Nations unies chargé des migrations a interrogé des migrants au Mexique qui s'étaient mis en route pour les États-Unis avant de changer d'avis. La plupart ont cité les restrictions à la frontière, les changements de politique et la crainte d'être expulsés comme raisons de ne pas avoir traversé. L'approche de l'administration peut être résumée par un message publié sur une chaîne WhatsApp officielle : « Ni lo intentes » (N'essaie même pas).

Tout d'abord, considérons la puissance militaire déployée pour dissuader l'invasion présumée. Il n'est pas rare que les présidents des deux partis envoient des troupes pour aider la police des frontières dans ses tâches logistiques ou de surveillance. L'administration Trump est allée plus loin. Le président a ordonné au ministère de la Guerre ( c'est son nouveau nom) d'annexer certaines terres frontalières et de rattacher ces parcelles à des bases militaires proches (et parfois moins proches). La loi Posse Comitatus empêche les soldats fédéraux (il en va autrement de la garde national des États fédérés) d'arrêter des personnes, une tâche réservée aux policiers. Mais l'idée est que si un migrant franchit la frontière et pénètre sur ces terres annexées, les soldats peuvent le placer en détention pour intrusion sur une propriété militaire.

Ce n'est pas la seule mesure de dissuasion militaire. Des véhicules blindés Stryker et des avions de surveillance anti-sous-marins sont désormais présents dans les zones frontalières. Le projet de loi « One Big Beautiful Bill », adopté en juillet, prévoit près de 47 milliards de dollars pour poursuivre la construction du mur et l'équiper de caméras et de capteurs. Mike Banks, chef de la police des frontières, suggère que la présence militaire ne sera pas permanente. « Nous reviendrons à un point où nous contrôlerons la frontière sans avoir besoin de tout ce soutien », a-t-il récemment déclaré. Mais un retrait complet semble peu probable.

Deuxièmement, l'administration durcit le ton à l'égard de ceux qui osent encore franchir la frontière. Les interpellations à la frontière ont diminué, mais les procureurs fédéraux poursuivent de plus en plus de migrants pour entrée illégale. Certains éléments indiquent que la menace de poursuites pénales a réduit la probabilité que les migrants tentent de franchir la frontière à plusieurs reprises sous l'administration Obama. À l'époque, la police des frontières appelait cela « l'application des conséquences ».
Le troisième principe de la stratégie frontalière multicouches de M. Trump passe de l'application des conséquences à la sévérité en apparence implacable. Le processus habituel d'expulsion d'une personne, qui fait partie intégrante de l'application des lois sur l'immigration, a changé. Des agents masqués arrêtent des personnes dans la rue, les placent en détention (souvent dans des conditions peu commodes) et les renvoient parfois dans un pays où elles n'ont jamais mis les pieds. Les migrants de Basse-Californie disent aux travailleurs humanitaires qu'ils ont peur d'être emprisonnés indéfiniment aux États-Unis ou envoyés dans une prison salvadorienne. Pourquoi risquer sa vie pour traverser la frontière si c'est pour vivre dans la peur ?

La stratégie frontalière repose sur la suspension du droit d'asile décrétée par M. Trump. Les migrants pouvaient auparavant tenter d'échapper aux soldats et risquer des poursuites judiciaires si cela leur permettait d'obtenir une date d'audience et un permis de travail. Cette option n'existe plus. Dans un décret signé dès son premier jour au pouvoir, M. Trump a affirmé que « l'invasion » des États-Unis par les migrants lui permettait de refuser l'asile. Dans ce décret, il reconnaît que la plupart des présidents ont utilisé le pouvoir légal qu'il revendique pour empêcher de petits groupes de personnes d'entrer dans le pays, mais il affirme que son pouvoir s'étend à la restriction de l'accès à l'ensemble du système d'immigration du pays.

Cette décision est contestée devant les tribunaux. Un collège de trois juges de la cour d'appel fédérale de Washington a récemment statué que l'administration ne pouvait pas expulser des personnes vers un pays où elles risquaient d'être torturées, mais a autorisé le maintien de l'interdiction d'asile pendant la durée du procès. Les juges ont cité l'affaire Trump c. Hawaii, une affaire de 2018 qui a confirmé l'interdiction de voyager aux États-Unis pour les ressortissants d'une liste de pays, comme précédent pour la déférence judiciaire envers le président lorsque la politique d'immigration et la sécurité nationale sont étroitement liées. « Les tribunaux semblent certainement enclins à trouver des compromis qui leur évitent de déclarer complètement illégales les actions de Trump », explique Denise Gilman, experte en droit des réfugiés à l'université du Texas à Austin.

D'autres facteurs entrent également en jeu. Le Mexique a durci sa politique à l'égard des migrants afin de rester dans les bonnes grâces des États-Unis. Les migrants présents au Mexique ont commencé à voyager moins pour éviter d'être détenus et envoyés dans les villes du sud, près du Guatemala. De nos jours, le simple fait d'arriver à Tijuana est un exploit.

Cette situation va-t-elle durer ? « Si les tribunaux venaient à invalider l'interdiction d'asile, je pense qu'il est très probable que vous verriez beaucoup plus de gens arriver », déclare Andrew Selee, du Migration Policy Institute. 

Source : The Economist